La cosmétique sans concession
J’ai réalisé cette interview en juin dernier dans le somptueux cadre des Salons Particuliers du Bon Marché, à Paris. On ne présente plus Tata Harper, Queen de la Green Beauty américaine. Ecoutons-la plutôt nous raconter la genèse de sa marque et sa quête d’une beauté plus respectueuse de la santé et de la nature, mais pas pour autant boring !
Beauty Toaster. Bonjour Tata, je suis ravie de vous interviewer ici à Paris.
Tata Harper. Bonjour, comment allez-vous ? Je suis ravie d’être invitée dans votre podcast.
1 Dites-moi, vous n’étiez pas pas dans la beauté au début. Mais j’ai lu que vous, votre mère et votre soeur, lorsque vous viviez en Colombie, vous organisiez des « Beauty parties », c’est vrai ?
Tata Harper. Oui, c’est tout à fait vrai. Je n’étais pas dans l’industrie de la beauté du tout. J’étais ingénieur industriel de formation et j’avais une vie totalement différente. Mais est-ce parce que je suis latine ou que ma mère et ma grand-mère avaient cet amour inconditionnel pour la beauté ?, Vous savez elles adoraient célébrer la beauté. Pour elles, ce n’était pas une contrainte, quelque chose d’ennuyeux ou juste une perte de temps, c’était un rituel, un moment pour prendre soin de soi. C’était une façon de se mettre en mode week-end. Même au quotidien, il y avait toujours ces 10 mn, où on prenait du plaisir à s’appliquer toutes sortes de crèmes. Je suis tombée amoureuse du rituel et de la sensation qu’il induit en vous. Et j’ai été accro à la beauté très jeune.
2 Au départ, vous vouliez être dans la mode, mais vous êtes devenue ingénieur industriel, mais comment avez décidé de créer votre propre marque de beauté ?
J’ai toujours adoré la mode et encore aujourd’hui. Déjà au lycée, j’avais une marque de mode avec une amie et on créait plein de modèle. Je croyais que c’était mon destin et je voulais faire des études de stylisme, mais ma mère qui travaillait et était une entrepreneuse m’a dit : » Oh non, non, non ! Je ne crois pas que le stylisme soit une bonne orientation pour toi. C’est trop limité et ce sera la seule chose que tu sauras faire. »
Et là, elle me dit: » tu devrais faire des études d’ingénieur. » Et moi, j’ai répondu : « quoi ? Mais, qu’est-ce que c’est ? Ca semble tellement complexe ».
Mais vous l’avez quand même fait.
Oui, je l’ai fait et j’ai aimé ça. Au lycée, j’étais une élève assez moyenne, j’avais toujours des C, C+… Mais quand j’ai étudié l’ingénierie, je suis devenue une excellente élève. A ma grande surprise, j’ai adoré, parce que dans ce type d’études, on vous explique le processus de fabrication des choses, et on vous apprend à réfléchir, et c’est hyper intéressant. Et je ne pensais pas entreprendre dans la beauté, mais mon beau-père a développé un cancer il y a 15-16 ans maintenant. Il était soigné aux Etats-Unis et je vivais à Miami à cette époque. Je l’ai beaucoup accompagné à ses rendez-vous médicaux, pendant son parcours vers la guérison. C’est un survivant du cancer. Il faisait plein de tests, prenait des médicaments, subissait des opérations, je rencontrais des spécialistes et je me suis interrogée sur son mode de vie : ce qu’il faisait, comment il vivait, quels produits ils utilisait tous les jours… Un médecin m’a suggéré d’incorporer dans sa vie plus de produits naturels. Même si c’est un homme et qu’il n’utilise pas des tonnes de produits, rien que le shampoing, le savon, le déodorant… Et là, j’ai ouvert les yeux. Car je pensais que le mouvement bio et la beauté naturelle, concernait uniquement l’environnement. Je suis une défenseuse de l’environnement mais je ne pensais pas que mon déodorant ou ma crème hydratante avait un impact. Et là j’ai compris qu’on parlait de l’impact sur la santé, des produits que l’on utilise tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Et je me suis demandé comment on pouvait réduire leurs effets toxiques. J’ai commencé à changer d’alimentation, de produits nettoyants, tout et la dernière étape a été d’échanger ma super crème high tech suisse contre une crème naturelle. Et je ne trouvais pas d’équivalent.
Vous savez, la cosmétique naturelle était très minimaliste, très basique à l’époque. Les gens qui s’y intéressaient recherchaient du naturel, pas de l’efficacité. C’est vrai dans beaucoup d’industries, sauf que, dans le skincare, les gens achètent les produits parce qu’ils veulent du résultat. Or à l’époque, pour moi comme pour d’autres consommateurs, ces produits étaient décevants en termes de résultat et de texture. C’est ce qui m’a conduite à vouloir créer cette nouvelle génération de produits.
3 Vous avez conçu votre marque comme une marque bio, clean et glamour dès le début. En 2010, ça devait être un sacré challenge, non ?
J’ai lancé la marque en 2010, mais j’ai commencé à travailler dessus dès 2005, donc il m’a fallu 5 ans pour créer Tata Harper. Ce qui est très différent par rapport à la cosmétique traditionnelle où vous arrivez avec un concept et ça ne prend que quelques mois pour lancer le projet. Je ne voulais pas forcément que ce soit glamour, je voulais parler à une consommatrice qui attend un vrai résultat, c’était plus ça en fait. Beaucoup de gens me disent : « oh vous êtes une marque tellement haut de gamme ». Ok, mais qu’est-ce que ça signifie vraiment ? Pour nous, l’idée était d’avoir des formules puissantes, très concentrées, constituées d’ingrédients du monde entier. Je voulais que ce soit le summum de la technologie naturelle d’aujourd’hui. Ce qui est très différent de l’offre de produits naturels de l’époque qui était très simple, minimaliste et s’adressait à un consommateur sans grandes attentes. En revanche, pour celles qui avaient des attentes cosmétiques, il n’y avait pas d’alternative et c’était dommage. Alors j’ai voulu créer cette marque pour bousculer le status quo. Je vais parler de ça, parce que ce n’est pas seulement une histoire de naturel. Par exemple, le clean est un nouveau concept, mais ça n’a rien à voir avec ce que nous faisons. Clean, c’est une réaction de l’industrie face aux critiques concernant certains ingrédients controversés comme les parabens, SLS, PEGS… Chaque marque a sa propre interprétation du « clean ». Mais, être clean, c’est juste un effort à faire, c’est un bel effort, mais ça n’a vraiment rien à voir avec ce que nous faisons. Ce que nous faisons est totalement naturel et bio. C’est ce que je voulais montrer aux consommatrices : le vrai pouvoir de la nature quand on fait bien les choses. Et je voulais également bousculer ce concept de l’ingrédient « silver bullet », ce super ingrédient qui fait tout pour vous.
Ca fait, 50, 60 ans que le marketing nous matraque avec cette idée que seuls les ingrédients synthétiques fonctionnent. Voici l’ingrédient miracle, vitamine A, B C, bref vous savez due quoi je parle. Et j’ai trouvé ça un peu réducteur. Pourquoi un seul ingrédient alors qu’il y en existe tant ? Je ferais le parallèle avec les compléments alimentaires : vous pourriez acheter votre vitamine C, vitamine D et vitamine B, en les achetant séparément. Mais pourquoi ne prendre un seul super complément multivitaminé à la place ?
En cosmétiques, c’est pareil. Si vous faites le calcul, un seul de nos produits coûte bien moins cher que si vous deviez acheter tous les produits nécessaires pour apporter à votre peau le même nombre d’actifs. Par exemple, nous avons un sérum qui contient 39 ingrédients actifs. En cosmétiques traditionnelles, vous devriez acheter, je sais pas moi, 12 produits pour obtenir un effet équivalent.
Ca a été difficile d’aller à l’encontre de la mentalité cosmétique traditionnelle. L’un de mes avantages, c’est que je n’étais pas issue du sérail. Quand vous faites appel à tous ces experts, qui connaissent leur métier et qui ont toujours procédé de la même façon jusqu’à maintenant, vous êtes incompris quand vous voulez faire les choses différemment, ils vous traitent de fou, dans le sens où vous ne voulez pas faire partie du système.
Quand vous créez votre marque, ces-gens-là vous présentent différents laboratoires pour formuler vos produits et ces labos, ont un catalogue de formules de bases qui ont déjà été achetées par différentes sociétés. Des bases auxquelles on ajoute un ou deux ingrédients. Par exemple, moi qui vient de Colombie, on va me dire : « Tata, nous avons cet ingrédient incroyable d’Amazonie, on va le mettre dans tous tes produits, ce seront des produits sans parabens bien sûr.
Et moi : « quoi ? Un seul ingrédient ? Sans parabens ? Non, moi je veux une formule non synthétique à 100% ».
Eux : « Non, on n’a pas le temps de travailler là-dessus, c’est impossible. Vous n’aurez aucun résultat. »
Et là, vous concluez : « OK, je ne peux pas travailler ave le système ».
4 C’est pour cette raison que vous avez crée vos propres laboratoire et usine ?
Oui, car nous voulions travailler chaque formule en partant de zéro. Vous savez, je suis avant tout une consommatrice de produits de beauté, donc en tant que consommatrice, vous arrivez avec tellement de fantasmes autour des produits que vous achetez. Notamment que ces produits sont fabriqués par la marque elle-même, de A à Z.
Et j’ai réalisé que l’industrie traditionnelle est très sous-traitée. Vous avez des fabricants qui travaillent pour 80 marques différentes sous un même toit. Après, tout va dans une usine de conditionnement, qui remplit les flacons pour ces 80 marques, après les flacons partent chez le spécialiste de l’emballage, pour ensuite se retrouver à la vente chez les distributeurs.
Et moi, en tant qu’ingénieur, je me suis dit que j’allais me retrouver à faire du marketing et de la vente. Mais je ne veux pas monter une boîte de pub. Je veux une vraie entreprise de cosmétiques, qui fabrique entièrement ses produits. Une autre raison pour laquelle j’ai décidé de monter ma propre usine, en dehors du fait que j’adore créer des produits (c’est très intime), ce que j’aime c’est inventer des processus de fabrication. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas que le fait de créer des supers produits, il y a aussi le fait de mettre en place un processus de fabrication qui réduit l’empreinte carbone. Que vous ne soyez pas obligé de produire vos quantités en fonction des minimums exigés par un intermédiaire. Mais que vous produisiez en fonction de vos besoins, des demandes de vos clients. Et qu’entre la sortie d’usine et la mise en vente, il se passe un minimum de temps.
L’idée c’est vraiment de repenser la façon dont on fabrique les produits de beauté dans leur globalité. J’aime fabriquer cette marque dans laquelle je peux mettre tellement de valeurs personnelles, de croyances, d’imagination etc. C’est une vision (ndlr. dans le sens « idéal »).
5 Votre marque est principalement orientée vers l’anti-âge. Donc vos produits sont très actifs et agissent sur pas mal d’aspects concernant le vieillissement. Mais cela veut aussi dire beaucoup d’ingrédients. Alors comment faites-vous avec les risques d’allergie, de sensibilité ?
Oui, bonne question. Mon approche a toujours été d’apporter les meilleurs ingrédients. Mais je n’avais pas pris en compte l’environnement dans lequel nous vivons aujourd’hui et le fait que les peaux réagissent à de plus en plus de choses. Et j’ai réalisé que j’avais également des centaines de milliers de consommateurs qui avaient des problèmes liés aux cosmétiques, mais également à l’alimentation, à la pollution. Donc j’ai voulu être plus « inclusive » par rapport à ces consommateurs, et c’est un scoop, l’année prochaine, je lance une ligne pour peaux sensibles. Il faut savoir que beaucoup de gens aujourd’hui sont allergiques au gluten, au soja, aux huiles essentielles et à tant de choses. Ca a été un challenge incroyable. J’adore les challenges, quand les choses sont trop faciles, je m’ennuie. Donc, c’est une nouvelle étape.
6 Et tous vos ingrédients viennent de votre ferme ?
Non, c’est un malentendu. Dans ma ferme, j’ai un jardin où on cultive 5 herbes (calendula, arnica, alfalfa…) et quelques cultures en phase d’expérimentation.Et ces végétaux poussent parfaitement bien sous notre climat. J’importe des ingrédients de 78 pays différents, car je choisis les meilleurs ingrédients là où ils sont le mieux produits. Je ne peux pas me contenter de notre propre production. Mais c’est dans la ferme que nous fabriquons tous nos produits. C’est pourquoi beaucoup de gens s’imaginent que tous les ingrédients viennent de ma ferme, mais pas du tout. Ce qu’on fait c’est qu’on importe des ingrédients et des matières premières du monde entier et au sein de la ferme, nous avons une usine où nous fabriquons, nous remplissons, nous emballons. Donc les produits viennent de notre ferme du Vermont.
7 Et tous les ingrédients sont-ils bien sourcés ?
Nous avons une charte très stricte concernant les matières premières car, évidemment on ne veut pas d’ingrédients testés sur les animaux ou contenant des produits d’origine animale ; pas de matières issues de semences OGM ; pas d’ingrédients dont les processus d’extraction sont dangereux pour l’environnement. Donc ce sont plein de contraintes en plus de n’utiliser aucun produit synthétique. On a un processus de validation en interne, mais on fait également valider nos produits par Ecocert qui nous poussent toujours à aller plus loin. Parfois, on pense qu’on fait bien, et Ecocert nous alerte sur certains points. Par exemple, on va travailler sur un projet contenant 80 ingrédients, le valider et quand il revient de chez Ecocert, il ne contient plus que 60 ingrédients validés. Et c’est là que commence la formulation.
Donc c’est un long process, dû au fait que nos produits sont formulés sans ingrédients synthétiques.
8 Comment vous en sortez-vous au niveau de l’empreinte carbone ?
Eh bien, nous tentons de la minimiser au maximum. On importe du monde entier donc cela ajoute à notre empreinte carbone. Mais, j’ai une production totalement verticale. e fais tout sous le même toit. Comme je disais, nous contrôlons toute la chaîne de production de A à Z. Le packaging est recyclable. On essaie d’utiliser le plus possible de verre, parce que le verre est recyclable à l’infini, si les clients recyclent. Les cartons sont fabriqués en fibres recyclables certifiées. Et on ne le fait pas pour des raisons marketing, on en parle rarement, mais on le fait parce que c’est la façon dont on devra produire dans le futur.
9 Oui, c’est une de vos valeurs. Et est-ce que, comme CREDO (ndlr. la chaîne de magasins beauté bio américains) dans sa vidéo « It’s time for better beauty », vous voudriez que les Etats-Unis fassent un grand pas législatif vers la cosmétique green et clean ?
Je revendique cela depuis que j’ai commencé. Je ne suis pas le genre de CEO à rester assise dans son bureau. J’aime me balader, aller à la rencontre de mes consommatrices dans les magasins ou lors d’évènements. Elles m’inspirent. J’adore animer des ateliers beauté. Je leur enseigne ce que j’ai appris, comment prendre soin de leur peau. Et l’une des choses que je leur enseigne c’est d’aller vers le bio. Le « clean » ce n’est que l’élimination de certains ingrédients controversés et je trouve que ce que l’industrie traditionnelle fait est bien, mais on est au-delà du clean. On doit vivre de façon plus écologique. Et en beauté, je sais que les gens ont eu des expériences décevantes avec certains produits, mais je vais vous montrer ce que cette nouvelle génération de produit naturels peut faire et vous verrez le résultat.
10 Que mettez-vous de votre héritage Colombien dans vos produits ?
J’utilise beaucoup d’ingrédients de le l’Amazonie. La Colombie compte 1/3 de l’Amazonie. Et puis, ce que j’apporte c’est une philosophie de la beauté : comment prendre soin de sa peau ; dans quel ordre appliquer les produits et comment transformer les moments de beauté. Car j’ai le sentiment que la beauté, c’est souvent : « Oh mon Dieu, me démaquiller, tant pis je vais au lit avec mon maquillage ». Mais ce n’est pas un moment ennuyeux, c’est un moment où on prend soin de soi. C’est une des choses que je prêche aussi : arrêtez de voir la beauté comme une perte de temps ou un problème.
En plus, je pense que les femmes, en particulier quand elles ont des enfants, donnent beaucoup. On pense toujours aux autres. On est des gouvernantes, des organisatrices, des chauffeurs, on fait tellement de choses que c’est juste d’avoir un moment pour s’occuper de soi. Finalement, c’est ça que j’apporte de mon héritage latin.
11 Quel est la prochaine étape pour Tata Harper ? Encore plus de produit ? Un système de remplissage ? Encore plus de durabilité ?
Je travaille actuellement sur plusieurs choses comme le remplissage effectivement, à la maison. Je travaille aussi sur la ligne pour peaux sensibles qui sera lancée avec quelques produits mais qui s’élargira par la suite. Et puis, on est vendu dans de plus en plus de pays. Notre clientèle est devenue globale. D’une certaine façon, le monde est devenu plat. On a été tellement concentré sur le marché américain, je pense qu’il est temps de faire découvrir nos produits dans différentes parties du monde.
12 Et pour ma dernière question. Au fait, pourquoi cette couleur vert pomme ?
Bonne question. D’abord, parce que le lieu de naissance des mes produits, c’est le Vermont, l’Etat aux montagnes vertes Je ne sais pas si vous êtes déjà allée dans le Vermont, mais en été, tout est magique, le vert est quasi fluo, quelques fois c’est presque difficile de regarder l’herbe tellement elle est verte et éblouissante et il y a des pissenlits partout. Donc c’est la première source d’inspiration. Mais le vert c’est aussi la couleur de l’amour universel (le rose est la couleur de l’amour inconditionnel), le vert c’est la couleur de l’amour pour tous et je pense que faire passer ce message est très important de nos jours. On vit à une époque où il n’y a pas beaucoup de tolérance pour les gens qui viennent d’ailleurs, qui ont différentes opinions, différentes religions, et je pense que l’on doit envoyer une énergie positive et de l’amour. Donc j’aime que ce vert représente ces valeurs en plus de la ferme et de la nature. Et ces produits représentent la quintessence du pouvoir global de la nature. Je trouve que cette couleur symbolise à la fois les valeurs et le concept de la marque.